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Labocity2
22 novembre 2007

Episode 13, par Chinue - "Vus"

Assis à un petit bureau dans son cabinet de travail blanc et aseptisé, le Professeur Bartholomé Rubens Plücke prenait des notes. Il observait à intervalle régulier un moniteur placé devant lui, sur le bord duquel était collée proprement une étiquette où on pouvait lire « zone-test 3 ». L’écran allumé montrait une assez petite étendue d’herbe entourée de vieux arbres aux feuilles jaunes. Le plan était fixe, mais des personnages se mouvaient à l’intérieur. Deux plus exactement : une fillette et un grand fauve au pelage sombre.
Le professeur Plücke aimait son travail. Affublé d’un patronyme plutôt ridicule, il avait toujours souffert des moqueries de ses camarades, puis de ses pairs… mais depuis qu’il avait pris ses fonctions d’observateur dans le projet L2, il se sentait important, reconnu, et… agréablement isolé. Sa mission exigeait en effet d’être confiné dans ce laboratoire perdu au milieu de la forêt, à des kilomètres des premières habitations labocitadines. De plus, son goût pour l’ordre et la rigueur étaient comblés par la minutie nécessaire à son observation permanente des sujets testés, minutie que d’aucuns auraient bien sûr trouvée insupportablement fastidieuse. Oui, le Professeur Plücke aimait son travail, et c’est avec fierté - et un léger sourire - qu’il reprit son cahier pour y noter ses observations.

*

Sortant en trombe de la cabane, Chinue courut en direction de la source des cris, bondissant, se courbant avec agilité pour éviter les racines ou les branches, et atteignit en quelques secondes la clairière aux arbres dorés qui s’étalait paresseusement non loin de là. 
La jeune femme stoppa net et ouvrit des yeux ronds : là, au milieu de l’espace clairsemé, une minuscule enfant de 5 ou 6 ans, apparemment inconsciente du danger qu’elle courait, jouait entre les grosses pattes puissantes d’Oni, lui tirant les moustaches, la caressant avec ses petites mains d’enfant, riant aux éclats. Il sembla à Chinue, éberluée, que Oni, quoique observant la petite avec un air supérieur, affichait un rictus empreint de douceur et… ronronnait.
La petite fille tourna la tête en direction de la nouvelle venue. Sa peau aux reflets ocre était plus foncée que celle des femmes que Chinue avait laissées derrière elle, et d’une certaine façon, la jeune femme eut l’impression qu’elles se ressemblaient. Troublée, elle émit un son rauque à l’adresse de son fauve, qui se leva nonchalamment et vint vers elle bien plus de lenteur qu’à l’accoutumée.
Visiblement déçue de voir s’éloigner Oni, la petite fille fit une moue boudeuse (pppff… encore une grande personne), puis s’exclama :
« Ouah, Madame, il est vraiment cool, ton chat. »
Soudain fort intéressée par l’accoutrement de Chinue elle reprit :
« Dis donc t’as un super maquillage sur la figure !! Tu m’en fais un ? »

Rose accepta de suivre Chinue à la seule condition de grimper sur le dos d’Oni, qui se plia de bonne grâce à la volonté de la fillette. L’étrange équipage revint donc à la cabane, au rythme de la démarche chaloupée de la panthère noire. Chinue réfléchissait. Son assurance retrouvée après sa visite à la grotte le matin-même l’avait brutalement quittée… Cette gamine trouvée lui rappelait sa propre enfance…. Son cœur brisé à la mort de sa mère, sa vie solitaire depuis. Son insupportable isolement.
Chinue savait de quoi était constitué le remède que l’Esprit lui avait confié. Elle n’était pas idiote. Elle connaissait toutes les plantes médicinales de la forêt, et l’odeur âcre du remède ne lui inspirait pas confiance. Non, elle ne pouvait pas obéir à l’Esprit de la Grotte. Oh, elle en subirait sans doute les conséquences, mais qu’importait. Elle sentait que sa vie avait déjà changé.

Plus tard ce soir-là, alors qu’à l’intérieur de la maisonnette Chinue appliquait une pâte crémeuse et colorée sur le petit visage de Rose, tandis que Oona veillait Arthélie, toujours en proie à des songes embrumés, et que bientôt Beirut s’enfoncerait à son tour dans l’obscurité des arbres, le papillon multicolore déjà oublié passa en virevoltant à quelques mètres de la cabane, poursuivant sa course vers un arbre touffu sur lequel était fixée, cachée par l’ombre du feuillage, une petite caméra sophistiquée. L’objectif était dirigé vers la porte d’entrée ouverte, couvrant un champ qui s’étendait de la cabane branlante à l’orée de la forêt. Une silhouette sortit de l’ombre des arbres et s’immobilisa. C’était un jeune homme qui, fasciné, observait Oni, couchée sur le flanc devant la porte de la cahute.

*

Dans la clarté chirurgicale de son cabinet de travail isolé, le Professeur Bartholomé R. Plücke, les yeux rivés sur un écran de contrôle, sourit dans sa barbe. Le sujet V. était entré à Isola.

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Commentaires
J
je trouve ce texte très agréable et la relation de Rose avec Oni me fait bien rire<br /> la suite siouplé :)
K
Oui alors j'ai pris grand plaisir à lire ce texte. Ma petite Rose qui s'amuse avec Oni... C'est juste, c'est pile poil dans l'idée que j'avais de la suite des évènements, et les personnages se rassemblent enfin (13ème épisode mine de rien !)...<br /> Encore !
Labocity2
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