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Labocity2
5 février 2008

Episode 24, par Beirut* - "Vers des espaces infinis"

Beirut* pleurait.

La joie et la tristesse se mêlaient dans ses larmes car si elle venait de goûter présentement au mot « liberté » elle venait également d'en connaître le goût amer. Dans le silence contemplatif, elle murmura ces quelques vers ;

« Les ailes brûlées, clouée au sol,
Et la tête vers le ciel, vers la splendeur de l'éternel ailleurs
Cherchant l'étoile qui fait tourner la rou
Loin de ce quadrillage où même l'air ne peut être libre comme l'art
Comme la pureté d'un geste, la profondeur d'une pensé illimitée
Est-ce la frontière si fine entre folie et sagesse ?
Réflexion pesante cheminement infini en quête de l'archétypique
Mais mon âme est souffrante
Mémoire passé qui voudrait voir mon espoir cassé
Où est la berge ?, Où est la perche ? Maintenant j'en ai assez !!
Je me noie… j'ai perdu ma barque quand j'ai vu que celui qui la conduisait n’était autre que mon ennemi
Mais comme quand la nuit tombe, l'océan et le ciel ne forment qu'un
Alors j'ai pu voir l'espace infini
Oh liberté, ma chère amie, ta présence est abstraite
Vu que c'est dans ma tête que j'ai appris à te connaître
Oh liberté, imbibe mon encre et ne quitte plus mes pensées
Bulle d'oxygène dans un monde limité
Où la vérité se cache en nous… »

Puis Beirut* s’arrêta un instant, hésitant de poursuivre plus en avant. Voyant qu’Arthélie l’écoutait attentivement, elle ajouta ;

- Sans cesse, nous marchons, les rues s’ouvrent, nous marchons comme des êtres vivants qui n’ont plus pour disparaître que les vêtements de tout le monde. Et cette débâcle qui les emporte. Il y a un moment où l’on ne sait plus si ce que l’on fait est réel ou bien simplement utile. On décroche. Il y a peut-être une autre façon de vivre. D’un seul coup, on se découvre affublé d’absurdités. Se lever, marcher, devenir, sourire ou pleurer n’ont plus aucun sens. Alors on tourne le dos. On s’en va… Beirut* marqua une pause. Arthélie la contempla. Elle lui apparut si belle enveloppée dans ce manteau de silence. L’herbe, le ciel, la cime des arbres éternels, la venue de la nuit, la couleur d’un regard, rien ne change. Mais on sait que tout sera différent désormais. On choisit la fuite. On est inaccessible et il y a un petit rire au fond de nous-même. Un rire que personne ne peut entendre… Personne n’est ce qu’il prétend être. Personne n’est ce qu’il est... Son regard se ferma, Arthélie comprit que c’était à elle-même que Beirut* s’adressait. De l’espoir qu’il nous reste naît la liberté. Celle de se plier à des courants insolites et de partir au loin. Vers des espaces infinis.

Les lèvres d’Arthélie s’entrouvrirent soudain, comme si elle s’était préparée à prononcer un mot. Elle resta un instant dans cette posture, les mandibules crispées, l’obscure ellipse des mâchoires immobilisée dans le silence. Elle les referma alors doucement et murmura :

- Que faire à présent… ?
- Ce n’est pas encore fini… Il reste encore un chapitre à écrire. Beirut* se tourna vers Arthélie. Viens. Je veux te montrer quelque chose.

Elles franchirent le seuil de la caverne et s’engagèrent au travers de la forêt. Au bout de quelques instants, elles parvinrent à une clairière en forme de polygone bordée par des arbres aux feuilles luisantes et des troncs châtains qui semblaient vernis. Il y avait une drôle d’odeur, imprévue. On entendait un bruit étrange : un trille artificiel, comme celui que pourrait produire la bise en agitant un lustre baroque. L’espace d’un instant, Arthélie regarda autour d’elle en tentant de vérifier la raison de ce tintement mystérieux. Elle s’approcha alors de l’un des arbres et comprit. Elle fut fascinée. Beirut* se pencha vers elle et adopta un ton sombre ;

- La forêt est en plastique, affirma-t-elle. Les arbres, les fleurs et le gazon sont factices. Le son que tu entends est celui des feuilles des arbres quand le vent les agite : elles sont élaborées dans un matériau très délicat et résonnent comme de petits morceaux de cristal. Rien n’est réel, tout n’est que simulacre.
- C’est incroyable.
- Moi, je trouve ça effrayant,
répliqua Beirut*.
- Effrayant ?
- Oui. Ces arbres, cette herbe en plastique… trop longtemps mes cauchemars me les ont montrés. Trop longtemps j’en ai songé pour enfin en percer les secrets.

Arthélie regarda ses pieds : elle trouvait très doux le tapis d’herbe épaisse et pointue. Elle passa les doigts dans l’herbe avec une extrême délicatesse. Elle était moelleuse.

- Je peux m’asseoir ? demanda-t-elle soudain.
- Bien sûr. Cette forêt est la tienne. Mets-toi à l’aise.

Elles s’assirent ensemble. L’herbe était une armée de soldats élégants en miniature. Rien dans ce lieu ne gênait le regard. Arthélie caressa le gazon et ferma les yeux : c’était comme de glisser la main sur un manteau en peau. Elle se sentit charmée. Beirut*, au contraire, semblait de plus en plus triste.

- Les oiseaux ne se posent jamais ici, tu sais ? Ils se rendent tout de suite compte que tout est un trompe-l’œil. Tout n’est qu'aberration, chimère, faux-semblant. Tout est comme nous.

Devant tant de beauté contrefaite Arthélie semblait chercher les mots appropriés. Une vibration, un frisson lui parcourut soudain l’échine. Pour la première fois, elle éprouva une certaine appréhension devant les paroles de Beirut*. Elle leva les paupières et contempla la platitude du ciel. Vide. Immense. Aucun nuage ne l’altérait. Aucun son ne résonnait. Son sentiment de malaise devint de plus en plus important.

- J’ai peur… lâcha-t-elle. Que pouvons-nous faire à présent ?
- Écrire. Écrire la plus belle page de notre existence,
affirma Beirut* calmement. Elle lui tendit un petit cahier de vert et de gris. En son centre une étiquette dorée indiquait dans une écriture curviligne « Arthélie ». Je l’ai pris dans la bibliothèque du créateur tout à l’heure. Les dernières pages sont blanches. Elles t’appartiennent. A toi d’y écrire les mots qui te paraîtront les plus justes et les plus beaux.

Elles se regardèrent, Beirut* sourit, et le silence s’installa.

Le temps passa. Au bleu méthylène du ciel succéda l’ébène de la nuit. Beirut* se leva, belle et fragile, sous l’ampleur resplendissante de la pleine lune. Puis après un regard empli d’une infinie candeur dédié à Arthélie, elle partit.

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Commentaires
A
Enfin Beirut* est sortie de sa transe hypnotique et a entrainé Arthélie avec elle. Je me demande si ça ne serait pas une bonne idée que j'écrive sur le carnet un nouveau songe...
Labocity2
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