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Labocity2
10 janvier 2008

Episode 22, par Arthélie :"Les chaînes brisées"

Le soleil était à peine levé. Vigo semblait flotter dans une sorte de rêverie sans fin. Rose riait doucement dans son sommeil et en observant bien, Arthélie vit qu’Oni répondait elle aussi dans son sommeil artificiel aux jeux de la petite fille. Chinue et Oona n’étaient plus là. La porte de la cabane était ouverte. Depuis quand ?

Une voix au fond d’elle lui dit d’agir et elle se tourna vers Beirut*. Celle-ci se releva d’un bond et leurs regards se croisèrent. Sans un mot elles se levèrent toutes deux et sortirent de la cabane.

- Il est temps d’en finir

-Oui. Répondit simplement Beirut*

Elles prirent la route la plus sombre et s’enfoncèrent toutes deux dans les bois sauvages et presque magiques d’Isola. Etait-ce parce qu’elle avait goûté une deuxième fois à l’éveil ou alors étais-ce parce que Beirut* l’accompagnait mais Arthélie savait sans l’ombre d’un doute où elles devaient aller et ce qu’il y avait à y faire.

Sur leur chemin, les branches des arbres s’écartaient et ouvraient pour elles une voie au sein de la forêt. Les quelques créatures qui peuplaient Isola venaient se présenter sur les bords de ce chemin que la nature ouvrait pour elles. Comme cela avait été le cas quelques jours plus tôt, le soleil levant guidait leur pas. Toujours plus vers l’Est, vers le cœur de la forêt.

Le soleil avait maintenant atteint le haut des frondaisons et la route qu’elles prenaient déboucha finalement sur une clairière ou trônait un pic rocheux. De ce pic coulait une petite chute d’eau dont le son cristallin emplissait tout l’espace. Au pied de cette chute un bassin formé par l’ondée reflétait le ciel et le soleil commençait à y apparaître. Les deux femmes s’agenouillèrent devant le bassin et effleurèrent en même temps la surface des eaux. Tout se brouilla, une brise légère balaya l’espace dégagé au cœur de la forêt. Le soleil disparut alors derrière un nuage et le bassin se figea pour devenir non plus le miroir du ciel mais une fenêtre vers un ailleurs. Il était là. Celui qu’Arthélie voyait dans ses songes, celui qui la connaissait mieux qu’elle-même, celui qui forgeait sa vie.

*

Il posa sa plume et releva la tête comme si quelqu’un venait de pénétrer dans la pièce. C’était impossible, personne n’était jamais entré ici. Pas depuis que lui-même en avait scellé les portes depuis des temps immémoriaux. Il sentit une présence, deux pour être précis. Il plongea son regard sur ce qu’il venait de coucher sur le parchemin et frémit.

Depuis tout ce temps il avait perdu l’habitude de lire ce qu’il écrivait, il se contentait de remplir page après page les grands volumes qui s’entassaient partout dans cette caverne aux dimensions de cathédrale. Devant lui ces mots

« Beirut* et Arthélie sont agenouillées devant le bassin et regardent à l’intérieur. Leurs mains touchent la surface… »

Ce n’était pas possible. Il n’y croyait pas personne ne pouvait venir ici, surtout pas eux. C’était impossible, il se leva et comme un dément se mit à arpenter les allées de la cathédrale souterraine. En revenant auprès de son pupitre après en avoir fait le tour il fut comme frappé par la foudre ; Elles étaient là.

-Bonjour père dirent Arthélie et Beirut* de concert

L’homme, estomaqué par leur présence ne dit rien et continua d’avancer comme un papillon attiré par une flamme. Il savait que s’il entrait en contact avec elles il mourrait. Mais la curiosité était plus forte que tout. Comment avaient-elles pu réussir à s’échapper de la trame de son récit ? Comment avaient-elles fait pour venir jusqu’à lui ?

Il s’arrêta à quelques pas des deux femmes et il les dévisagea. Arthélie tenait dans ses mains le volume dans lequel il écrivait avant leur interruption. Un frisson lui glaça l’échine. C’était la fin, sa fin.

-Vous écrivez de belles choses. Mais vous avez fait de moi ce que je ne suis pas. Dit Arthélie

-Oui, très belle, mais triste, trop triste parfois. Vous avez fait de ma vie un cauchemar éveillé. Ajouta Beirut*

-Il est temps d’en finir, nous ne voulons plus être vos marionnettes, nous ne voulons plus être l’objet de votre bon vouloir, vos créations… Nous voulons être libres ! S’écria Arthélie

Beirut* pris alors la plume qui reposait sur le pupitre et s’avança vers Arthélie qui tenait le volume entre ses mains. Se tournant l’une vers l’autre elles échangèrent un regard et Beirut* commença à écrire. Sa main leste et agile courait sur le papier et au fur et à mesure que les mots étaient couchés sur le vélin, le père des songes ne put que se résigner et accepter de subir le juste retour de ce qu’il avait créé. Sans même entendre ni lire ce que Beirut* était en train d’écrire il sut…

La main de Beirut* coucha ces mots…

« Deux des six, celles parmi toutes qui appartiennent le moins à la volonté du créateur, sont entrées dans son repaire de songes et de brumes. Elles deux, éveillées parmi les éveillés ont pris des mains du père le livre de leur vie et écrivent un nouveau chapitre, le dernier.

En ce jour le père n’aura plus le pouvoir de les tourmenter. En ce jour elles le bannissent de ce monde et de tous les autres. Elles le condamnent à sortir de la trame des univers et à y rester pour l’éternité. Aujourd’hui ce sont les enfants qui prennent les rennes du monde qu’il a créé. Les six deviendront dieux parmi leurs semblables et nul ne pourra plus jamais leur imposer sa volonté.

Ceci est la fin. »

Le père s’évanouit alors dans un nuage de fumée. Beirut* et Arthélie le regardèrent disparaître. Autour d’elles la cathédrale devint plus lumineuse que le point du jour et les six vitraux invisibles brillèrent de milles feux. Chacun représentant l’un des six. Arthélie referma le volume et alla le placer sur l’une des innombrables étagères. Elle alla ensuite se placer en dessous du vitrail la représentant et elle sourit. Elle chercha Beirut* du regard. Elle était aussi devant sa propre image mais elle ne souriait pas seulement. Beirut* pleurait d’être enfin libre.

*

Loin de là, dans un autre espace, dans un autre temps. Dans la cabane au milieu des bois Rose s’éveilla elle aussi. Assise sur sa couche elle sentait que quelque chose avait changé. Elle se leva, sortit de la cabane et sut exactement ce qu’elle devait faire…

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Commentaires
A
J'ai retrouvé en lisant cet épisode le plaisir de se dire "et après?"<br /> On revient à l'essence du projet labocity... le cadavre exquis, les pistes lancées et les retournements de situation inopinés... mais tellement attendus finalement! Merci Arthélie d'avoir osé...
O
Un étrange retournement de situation en effet. C'est le but de ce blog d'ailleurs. Par contre, c'est un peu trop religieux à mon goût.<br /> Enfin, chacun son truc, hein, Arthéli-x !
A
Merci beaucoup, j'avoue avoir eu pas mal de difficulté pour amener les écrits jusqu'à ce point mais c'était mon intention dès le départ.
B
Sympathique cette mise en abîme du récit... <br /> Sacré retournement de situation...<br /> Congratulation !<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> **[cit. Yasmina Khadra]
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