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Labocity2
26 septembre 2007

Episode 3, par Beirut* - "Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant."

Le trouble dévoila sa belle alchimie. Le beau vert naturel se troubla très lentement et très progressivement en de capiteuses volutes vaporeuses pour s’évanouir doucement dans une opacité la plus totale. Elle y succomba comme l’on succombe au charme. L’absinthe commençait à enivrer. Les notes de musique qui émanaient du gramophone la firent plonger doucement et elle sombra dans la mélancolie de ses songes.

« Les fleurs bourgeonnent et éclosent, elles croissent et rayonnent. En toi résonnent les chants des fleurs… Elle avait le pressentiment que quelque chose d’immense approchait. Comme la fleur devant l’été, notre cœur retrouve sa fraîcheur et s’épanouit. Elle ne sût dire quoi mais dans la noirceur de la nuit une chose dont elle ne parvenait pas à deviner les contours se mouvait péniblement mais inéluctablement. Notre corps est tel une fleur qui éclôt et déjà bientôt se fane… Une masse informe prospérait dans les ténèbres. Mourez sans fin et fleurissez toujours de nouveau, ô fleurs qui tremblez, vous courbez et vous dissipez… Elle resta à scruter dans le néant. Attendant que la chose se montre soudain… »

Beirut se réveilla brusquement, se redressa en sursaut et passa les bras autour de son corps. Elle ne sut tout d’abord pas où elle se trouvait. Puis elle regarda autour d’elle et remarqua la lumière de l’aube se glissant à travers les rideaux et les formes familières d’une pièce presque aussi nue qu’elle : un lit sans barreaux, des draps froissés, des murs sombres, des rideaux réglisse, l’armoire, le gramophone, les miroirs qui se multipliaient. C’était sa chambre et tout était en ordre.

Elle s’appuya le menton sur ses genoux et resta un instant à respirer lentement. Conserver son calme était l’une de ses obligations. Puis elle ferma les yeux en tentant de se rappeler toutes les données importantes, la date, ce qui l’attendait, ce qu’elle devait faire. Elle finit par conclure qu’on était le premier jour de l’automne, qu’elle avait rendez-vous ce matin pour une énième audition et qu’elle devait se dépêcher si elle voulait arriver à l’heure.

Quand elle se leva, les grands miroirs au mur reflétèrent une anatomie qui montrait un peu plus que de la simple beauté. Beirut avait entendu de nombreux qualificatifs et vu beaucoup d’yeux s’arrêter sur elle, mais ni les uns ni les autres ne lui étaient agréables parce qu’ils ne s’adressaient jamais à la personne qui ressentait et pensait à l’intérieur, mais aux formes de son corps. Elle vivait comme enfermée dans une silhouette éblouissante. Mais dans l’obscurité solitaire de son esprit la jeune femme se savait laide et misérable.

Elle se dirigea lentement vers la salle de bain pieds nus sur les dalles froides et en faisant osciller l’extrémité d’une chevelure noire et diluvienne sur des fesses de marbre lisse. Tandis qu’elle attachait ses longs cheveux en attendant que l’eau de la douche fût chaude, elle repensa aux cauchemars.

Elle ne se posait généralement pas ce genre de question. Elle avait l’habitude de réprimer sa curiosité, voire de l’effacer, et rien de ce qui se passait autour d’elle ne l’intriguait excessivement. Mais ces songes étaient parvenus à la faire douter. Au début, elle avait cru qu’il s’agissait de simples fantaisies terrifiantes et ne leur avait pas accordé d’importance, car elle n’avait que trop de raisons de les connaître. Cependant, quand les détails se répétèrent presque exactement chaque nuit, elle ne sut plus que penser. Avaient-ils une signification ? Et si cela n’était pas le cas, pourquoi rêvait-elle toujours de la même chose ? Pourquoi rêvait-elle des arbres ?

L’eau ne se réchauffait pas, ce qui ne la surprit guère. Le gaz et l’électricité ne fonctionnaient pas très bien dans son minuscule appartement. Sans y réfléchir à deux fois, elle se glissa sous la pluie glacée. Elle n’ébaucha même pas une plainte : elle prit le savon usé sur l’étagère et commença à se laver délicatement.

Le rendez-vous du matin était important pour sa carrière. Cela signifiait qu’elle s’attendait à des complications lors de son audition pour l’aria de Norma. Dix minutes plus tard, nue, elle regagna sa triste chambre, se sécha et finit de se préparer. Ses cheveux étaient du velours ondulé couleur de jais qu’elle liait en un chignon déstructuré et sa peau avait une blancheur éblouissante, presque minérale. Les sourcils épais, les grands yeux, l’un noir, l’autre bleu, tous deux en amande, et les lèvres tel un mystérieux animal vivant à la chair rougeoyante donnaient à son visage un aspect captivant mais également étrange, lointain.

Elle se pressa de peur d’arriver en retard et manqua de trébucher sur une branche qui jonchait parmi des feuilles mortes dans les escaliers de son immeuble. Sur le trottoir, assaillie par la luminosité du jour, elle plissa un instant les yeux. Soudain, interdite, elle resta un moment à contempler la rue et à écouter le silence pesant qui y régnait. Beirut réprima alors un frisson. Au dehors, la forêt, aussi démesurée soit-elle, s’était enfoncée dans la ville.

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Commentaires
B
Beirut est sans aucun doute semblable en certains traits à Birol... une âme sans racine perdue dans l'immensité d'une toile humaine sans fil d'Ariane pour la guider... mais bien moins sombre que Birol enfin semblerait-il... la suite nous le dira...
A
Tiens tiens, je reconnais bien là le style lyrique et tourmenté (du papa) de Birol... <br /> Beirut, ce ne serait pas sa soeur cachée ?<br /> <br /> Jolie, cette description évanescente d'un délire éthylique...<br /> Intéressante, cette intrigue naissante... Mais où cela va-t-il mener notre mystérieuse héroïne? A Isola-la-végétale, décor de cette saison 2, ou dans Labocity-l'ancienne, théâtre de la première histoire, et aujourd'hui étrangement arboré?
Labocity2
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