Episode 2, par Chinue - "Chat noir, chat blanc"
Marchant à pas de loup sur le tapis capiteux des feuilles, une ombre avançait silencieusement au milieu des arbres biscornus et luxuriants. Gracile, rapide et invisible, elle décrivait des courbes compliquées et semblait traverser la forêt sans se soucier des branches basses et des racines tortueuses qui gênaient son chemin. Elle ondulait, sautillait, slalomait entre les troncs, suivie par une seconde forme sombre, plus basse et trapue, aussi agile qu’elle, qui la devançait parfois et s’arrêtait ensuite pour l’attendre.
Ce matin, à l’aube, la forêt avait fait un cadeau à Chinue. Alors que, armée d’un coutelas acéré, elle partait à la recherche de gibier pour Oni et elle, son regard avait été attiré par quelque chose, presque rien, un mouvement imperceptible dans la forêt, un peu plus loin. Elle s’était approchée avec précaution, et son ouïe fine avait reconnu le bruit étouffé d’une respiration. La créature qui était allongée là avait une forme étrange… Chinue se rendit compte qu’elle lui ressemblait. Enfin pas tout à fait. L’autre animal avait la peau claire et la crinière cuivrée comme le pelage d’un écureuil. Il était allongé sur l’herbe, en chien de fusil, les paupières fermées. Chinue savait qu’il ne dormait pas. Son souffle un peu saccadé, ses soupirs exténués, ses mouvements brusques quand il changeait de position ne laissaient pas de doute. Chinue sentit son instinct de chasseuse s’éveiller instantanément. Pendant une seconde, elle oublia tout. Son pouls s’accéléra. Elle plissa les yeux. Sourit intérieurement. Le petit-déjeuner serait copieux ce matin… Mais quand l’étrange bête s’étira, courbaturée, pâle, des cernes bleus creusés sous les yeux, se mit debout sur ses deux jambes et commença à marcher au hasard au milieu des arbres, Chinue comprit que l’animal était une femme comme elle. Un peu décontenancée, elle commença à la suivre à la trace, sans un bruit, sans un mot, comme son ombre, guettant le bon moment pour attaquer.
Depuis plusieurs heures maintenant, l’autre errait, tâtonnant et trébuchant parfois. Elle semblait perdue, ou bien elle cherchait quelque chose. Chinue était excitée, sa curiosité à son comble, son cœur battait fort dans sa poitrine. La femme l’intriguait. Elle commençait à oublier la faim. Du temps passa encore. Chinue suivait toujours, retardant le moment de bondir sur sa proie, retenant d’un geste Oni qui la regardait avec des yeux luisants d’incompréhension. L’autre femme finit par s’effondrer sur une grosse branche en soupirant, rageuse et épuisée. Elle s’adossa au tronc d’arbre et ferma les yeux. Chinue s’approcha silencieusement. Elle était à deux pas de la créature aux cheveux oranges. Leva le bras qui tenait le coutelas avec précaution, sourit comme une petite fille… et ne put s’empêcher d’effleurer l'étrange crinière.
Oona ouvrit les yeux.